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jeudi 17 novembre 2011

Textes et traductions

posté à 19h46, par Dario Stefano dell’Aquila - traduction par ZeroS
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De la prison, de l’asile et de la psychiatrie en Italie

La prison n’est pas qu’enfermement des corps, mais aussi mise au pas des esprits : c’est là que sont expérimentées de nouvelles formes de contrôle, provenant notamment de la psychiatrie. Dans ’La prison asilaire. Les prisons en Italie entre violence, piété et camisoles de force’, Salvatore Verde s’est penché sur cette psychiatrisation du système carcéral transalpin. Voici la recension qu’en a faite le Napoli Monitor.

Introduction du traducteur1 : Les observations critiques du rôle historique et des mutations de la prison semblent être un lieu commun pour beaucoup depuis les travaux de Michel Foucault2. Cependant, dans de nombreux pays, les formes de l’enfermement ne cessent de se durcir, tendant à une emprise totale sur le corps et l’esprit des prisonniers. Le monde carcéral reflète et catalyse les évolutions en cours de nos sociétés. À la fin des années 1990, le sociologue Loïc Wacquant analysait aux États-Unis le traitement pénal de la pauvreté par le gouvernement néolibéral3 ; en 2011, partant d’un constat semblable en Italie, Salvatore Verde, sociologue et juge des enfants au tribunal de Naples, s’intéresse à la psychiatrisation du système carcéral italien, et à son miroir social. C’est de l’ouvrage de ce dernier, La prison asilaire. Les prisons en Italie entre violence, piété et camisoles de force, que Dario Stefano dell’Aquila effectue la recension, publiée dans le numéro d’octobre 2011 du classieux canard italien Napoli Monitor.

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Le genre « essai » ennuie tous ceux qui ne sont pas adeptes de ce type de travaux. Les essais sur la prison – qui plus est – s’adressent souvent à une niche d’universitaires et de spécialistes, et paraissent étranges à ceux qui ne s’intéressent pas à la thématique. Cependant, il existe quelques rares exceptions qui réconcilient avec ce type d’écriture. La prison asilaire. Les prisons en Italie entre violence, piété et camisoles de force4, paru aux éditions Sensibile alle foglie5 en 2011, écrit par Salvatore Verde, est un essai bref et incisif, pas seulement sur la prison mais sur la prolifération des lieux de privation et d’enfermement de la souffrance. Les quatre-vingt pages se parcourent aisément, sans jamais s’essouffler, et décrivent des dispositifs qui ont une application diffuse à l’extérieur des institutions totales6.

Les prisons sont le thème central, comme le rappelle le sous-titre. Des prisons toujours plus bondées, en une progression qui a vu la population carcérale presque doubler au cours de la dernière décennie7, pérennisant des conditions d’enfermement d’urgence. Et la prison n’est plus un lieu d’exception, mais simplement l’un des lieux où sont expérimentées de nouvelles formes de contrôle, provenant d’autres champs disciplinaires comme la psychiatrie.

La question que se pose Salvatore Verde est : « Comment se transforment les formes de pouvoir qui assurent le gouvernement de la prison ?  » En d’autres termes, comment est-il possible qu’il y ait dans un lieu aussi extrême encore un équilibre ? Les points sur lesquels se basent sa réponse sont les suivants :
1) l’utilisation des mesures alternatives à l’enfermement et la primauté aux conditions de respect de l’ordre disciplinaire interne ;
2) la substitution d’un système caritatif-philanthropique aux services sociaux et la concession à des entreprises sociales d’une part de la gestion de la prison ;
3) l’intégration des dispositifs typiques de la réalité asilaire dans la gestion de la souffrance et de la fragilité humaine ;
4) la remodelage des régimes disciplinaires et l’utilisation de la force.

De ces points, tous à approfondir, celui que nous souhaitons relever est l’analyse de la mutation asilaire8 de la prison. Dans les prisons italiennes, environ 22 000 personnes sont soumises à un protocole psychiatrique. Salvatore Verde écrit : « L’ordre disciplinaire de la prison interpelle la psychiatrie chaque fois que défaillent ses propres dispositifs […] et la psychiatrie […] intervient fondamentalement dans la définition des protocoles finalisés afin de réadapter le singulier à l’environnement carcéral.  » Et il le fait uniquement à travers les canaux du traitement pharmacologique, avec une approche médicalisée devant éliminer le symptôme. Un traitement chimique de la souffrance qui évite soigneusement de lier le trouble mental aux conditions de vie du prisonnier. La mutation des formes du contrôle psychiatrique – par exemple dans sa gestion des centres de détention pour migrants – démontre « la tendance diffuse à psychiatriser le modèle disciplinaire de la prison » et son envahissante diffusion.

Attention, cependant. La prison n’est pas le seul lieu où tout cela est en train d’arriver. Certes, elle est le lieu où ce processus est le plus visible, mais c’est « à l’extérieur », via le progressif démantèlement des services de santé mentale et la crise du welfare, que l’on peut identifier les connexions et les raisons des transformations. De plus, l’affirmation d’une pratique psychiatrique destinée seulement à contenir et contrôler la souffrance psychique témoigne aussi de la volonté de rendre plus strictes, même sur le plan législatif, les normes qui imposent le traitement médical. C’est un sujet qui regarde les dizaines de milliers de personnes qui se rendent chaque année dans des services de santé mentale, et qui reçoivent, de plus en plus, des réponses inadaptées à une prise en charge du malaise. Cette dynamique, de la prison à travers la prison, produit de nouveaux savoirs et pouvoirs de gestion de la crise, sur laquelle il est indispensable de réfléchir et d’intervenir.

Que faire ? Selon l’auteur «  il faudra multiplier les vigilances démocratiques, les actions de protection, les pratiques de soutien à toute cette humanité qui sera victime des crimes de paix9 ». Nous soulignons, en ajoutant seulement, que cela n’est pas la tâche exclusive de techniciens maîtrisant le sujet ou de spécialistes de la démocratie, mais que cela réclame une lutte quotidienne de chacun d’entre-nous contre toutes les formes d’internement et de médicalisation du malaise.



1 Les notes sont aussi du traducteur.

2 Surveiller et punir, naissance de la prison, Gallimard, 1975.

3 Punishing the Poor : The Neoliberal Government of Social Insecurity, Duke University Press, 2009.

4 Il carcere manicomio. Le carcere in Italia fra violenza, pietà, affari e camicie di forza. Téléchargeable en langue originale ICI.

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5 Coopérative de production et de travail fondée par Renato Curcio, ancien des Brigades Rouges.

6 Concept forgé par le sociologue et linguiste Erving Goffman désignant « un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées » (citation extraite du livre Asiles. Études sur la conditions des malades mentaux et autres reclus, Éditions de Minuit, 1979).

7 La capacité des 206 prisons italiennes est de 44 073 détenus. Il y avait 39 005 prisonniers en 2006 pour 67 971 en 2010 (dernier chiffre établi au 31 décembre par le Département de l’administration pénitentiaire)...

8 « manicomializzazione » dans le texte original.

9 « Crimini di pace  », en référence à l’ouvrage éponyme de Franco Basaglia et Franca Basaglia Ongaro. L’expression apparaît comme une clef de lecture explicitant toutes les violences institutionnelles qui servent de stratégie de conservation de l’ordre social.


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