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mardi 5 mai 2009

Littérature

posté à 08h49, par Lémi
20 commentaires

Le triomphe de Wal-Mart : de l’esclavagisme comme modèle de développement
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Wal-Mart est une entreprise philanthrope, spécialisée dans le bonheur. Ses prix bas permettent à des millions de personnes de vivre dans le luxe. Ses employés sont des « associés » heureux, réunis en une grande famille. Et le gigantisme de la plus grande entreprise du monde annonce des jours meilleurs : le modèle Wal-Mart sera bientôt universel. Un conte de fée. Ou presque…

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En 1992, le président des États-Unis eut cette formule : « Le succès de Wal-Mart est le succès de l’Amérique. » Désormais, la multinationale de la distribution est devenue la plus grosse entreprise du monde. Et le dumping social qu’elle pratique – elle vient d’être condamnée à 172 millions de dollars d’amende pour avoir refusé à ses employés une pause-déjeuner – contamine l’économie occidentale.

Serge Halimi

En 2003, Wal-Mart ressemble beaucoup à l’Amérique de 2003 : une superpuissance sans rivale avec un accent du Sud.

Jerry Useem, dans Forbes, juste avant l’invasion de l’Irak

Il y a un épisode de South Park qui représente bien ce que peut signifier Wal-Mart, aux yeux de l’Américain moyen. Rien d’étonnant : la plus grosse entreprise du monde, peu présente (proportionnellement) à l’international mais élément clé du paysage politico/social aux États-Unis, ne pouvait manquer de faire son apparition dans la série crétino-rentre-dedans de Trey Parker et Matt Stone. Dans cet épisode, donc, l’arrivée d’un Wal-Mart dans la petite ville du Colorado théâtre du dessin-animé finit par alarmer les enfants : leur épicier préféré a fait faillite, le centre-ville s’est vidé de ses commerces, leurs grands-parents travaillent de nuit pour des salaires de misère dans le nouveau magasin et leurs parents sont devenus des zombies cédant compulsivement aux sirènes de prix toujours plus bas. Finalement, une foule en colère brûle le magasin honni qui a vampirisé la ville. Le lendemain, stupeur, des pelleteuses s’affairent à mettre la dernière touche à un nouveau magasin flambant neuf, aussi moche que l’ancien, aussi destructeur socialement. La morale ? On ne détruit pas Wal-Mart car il fait partie de vous. Il est votre miroir, vous qui aimez tant les prix bas que vous ne cherchez pas à savoir ce qu’il y a derrière…

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Il est difficile d’imaginer la puissance de ce géant de la distribution qu’est Wal-Mart. Les chiffres sont si démesurés qu’ils ne signifient plus rien : Wal-Mart représente 2,5% du PNB américain. Wal Mart possède un réseau privé de communication par satellites. Quatre des fils de la famille fondatrice figurent parmi les dix hommes les plus riches du monde. La chaine de distribution fait chaque année traverser le Pacifique à plus de 230 000 containers... On pourrait continuer longtemps ainsi, ça ne changerait pas grand-chose. Wal-Mart est tout simplement la plus grande entreprise du monde. Et son mode de fonctionnement n’en est que plus révélateur des faillites de notre économie globale.

Comme Ford, General Motors ou Microsoft avant elle, Wal-Mart est le reflet d’une époque, son symbole. Son gigantisme, sa démesure, son organisation, sa capacité de reproduction et d’adaptation, son management sans pitié ont transformé une entreprise plutôt banale de l’Arkansas en géant planétaire. Citée en exemple, copiée mais jamais égalée, elle est l’entreprise du 21e siècle, celle qui a mordu si fort dans son l’esprit des temps qu’elle se l’est accaparé. Ce n’est plus Wal-Mart qui symbolise l’époque, c’est l’époque qui symbolise Wal-Mart, ou presque.

Cela valait bien une étude poussée. Ça tombe bien : celle que vient de publier les Prairies Ordinaires, Wal-Mart, l’Entreprise Monde, est particulièrement réussie.

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Le livre se compose en deux contributions distinctes mais joliment complémentaires, celles de deux auteurs américains, Nelson Lichtenstein et Susan Strasser1. Leurs textes abordent - chacun à leur manière - la puissance symbolique et effective de la chaîne de distribution.
La première partie montre comment le modèle incarné par Wal-Mart est celui de la compression salariale la plus décomplexée : la vitalité économique de la chaîne tient en grande partie à sa capacité à exploiter ses employés jusqu’à la lie.
La deuxième, celle de Susan Strasser, remonte l’histoire de la marchandisation de masse pour trouver les racines du mal Wal-Mart, alliance de marketing conservateur et de calculs économiques ultra-libéraux. Une alchimie socialophage déjà concoctée auparavant par d’autres enseignes, comme Woolworth .


Maison mère et dépendance : la « famille » Wal-Mart

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Wal-Mart est comme les pirates patrouillant au large de la Somalie : chacun des esquifs offensifs est relié à un vaisseau mère, qui permet à ses rejetons de bénéficier d’une logistique efficace. Pour l’entreprise, il est situé à Bentonville, une bourgade de l’Arkansas, qu’on imagine charmante (ah, l’Arkansas…). C’est au cœur de ce siège historique, là même où un certain Sam Walton a fondé l’entreprise en 1962, que l’empire Wal-Mart est géré à la baguette. Jusqu’aux thermostats des différents magasins qui sont réglés depuis cette base opérationnelle.

Nelson Liechtenstein le rappelle, l’organisation de l’entreprise va à l’encontre du modèle Général Motors, autre entreprise qui s’était fait un temps reflet du monde. Alors lors que GM externalisait autant que possible, se débarrassant des fonctions productive - suivant en cela le schéma tracé par Naomi Klein dans « No Logo » : une marque n’est pas faite pour produire - , Wal-Mart a « trouvé le gigantisme très efficace et hautement profitable ».

Économiquement, la firme paraît anachronique. Elle le revendique, d’ailleurs : Wal-Mart se réclame d’une Amérique d’un autre temps, cultive des valeurs hautement conservatrices. Pourtant, son discours est profondément hypocrite : l’expansion de l’entreprise s’est d’abord basée sur les techniques les plus modernes. Ce que rappelle Dork zabunyan dans la préface de l’ouvrage :

Les plus hauts responsables de l’entreprise peuvent toujours feindre de mépriser la technologie - « Nous n’avons rien à voir avec elle, qu’elle soit « haute » ou « basse » , » osa déclarer Walton - , les chiffres ne trompent pas : Wal-Mart aurait investi un budget en informatique qui dépasserait celui de la NASA.

Que l’entreprise soit née dans l’Arkansas profond n’est pas anodin, Lichstenstein le souligne : « La compagnie est née et a commencé sa formidable croissance à une époque et dans un lieu particulièrement improbables. Ni le New Deal, ni la révolution des droits civiques n’étaient véritablement arrivés jusqu’au Nord-Ouest de l’Arkansas, cet État rural, presque entièrement blanc, sans syndicat et désespérément pauvre où Walton a commencé à constituer son empire provincial de la grande distribution. »
De cette base conservatrice, Wal-Mart n’a pas dévié d’un cil : encore aujourd’hui, elle met en avant la même idéologie. Et se fait le «  promoteur d’une idéologie de la famille, de la foi et du sentimentalisme provincial qui coexiste de façon étonnamment harmonieuse avec l’âpreté du commercial, la stagnation du niveau de vie et la pression permanente exercée sur les employés. »

La haine du social : mort au New Deal, longue vie à Reagan !

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Si l’entreprise se présente comme une famille, si elle appelle ses employés des « associés » et a rebaptisé ses départements des ressources humaines en « People Division », c’est bien pour maquiller d’un vernis humain une réalité assez peu reluisante : Wal-Mart traite ses employés comme des esclaves aisément remplaçables (le « turn-over » des employés y bat d’ailleurs des records) et leur dénie toute prérogative sociale. Ils peuvent s’estimer heureux d’avoir trouvé une famille prête à les accueillir. Pour le reste, ils n’ont aucun droit. Et quand un syndicat se crée dans l’entreprise, les rebelles, qui n’ont pas compris que Wal-Mart est une « famille » modèle et sans histoire, le payent par la fermeture de l’établissement. Ce fut le cas (entre autres) du site de Jonquière au Québec en 2005, immédiatement puni pour ses velléités sociales.

Serge Halimi cite ainsi la porte parole de l’entreprise, Mona Williams : « Notre philosophie est que seuls des associés malheureux voudraient adhérer à un syndicat. Or Wal-Mart fait tout ce qui est en son pouvoir pour leur offrir ce qu’ils veulent et ce dont ils ont besoin. » En clair : les employés sont si heureux qu’ils ne devraient même pas songer à avoir des revendications. Que les salaires pratiqués par Wal Mart soient « inférieurs d’environ 31% à ceux des grandes enseignes du secteurs » ne compte évidemment pas. Peccadilles !

Rien d’étonnant, alors, si l’entreprise s’est particulièrement développée durant les Reaganomics, ces années ou l’Amérique pratiqua une politique libérale acharnée, où elle voyait les revendications sociales comme des freins à la croissance et où le New Deal de Roosevelt passait pour un gigantesque fourvoiement. Régulièrement, Wal Mart sponsorise les campagnes électorales des conservateurs, tandis que ses dirigeants copinaient gaiement avec Georges W. Bush pendant ses deux mandats.
Car, au final, c’est limpide : l’esclavagisme pratiqué par Wal-Mart n’est pas soluble dans un environnement réglementé. A tel point que l’élection d’Obama a constitué - sans aucun doute - une très mauvaise nouvelle pour les dirigeants de l’entreprise.

Quand Wal-Mart entraîne le monde

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Wal-Mart, en tant que première boîte mondiale, constitue évidemment un modèle à suivre pour tous les managers du monde. En ce début de 21e siècle, une telle réussite fait saliver. Si les critiques se multiplient, si les premiers procès commencent à s’abattre sur une chaîne spécialisée dans le dumping social et l’esclavagisme (à l’intérieur des frontières comme à l’extérieur, Wal-Mart produisant nombre de ses produits en Chine), la fascination exercée par la firme est impressionnante.
C’est qu’en conjuguant prix bas et propagande, elle continue à renvoyer une image d’entreprise familiale modèle au service d’une Amérique provinciale, une sorte de sucess story à l’américaine (« Des haillons à la fortune », dixit Halimi). Petite entreprise née dans l’Arkansas en 1962 et devenue la plus grande chaîne du monde 40 ans plus tard, voilà qui fournirait un excellent scénario à Hollywood… Mieux : Wal-Mart ne se contente pas de faire rêver, elle inspire.

Susan Strasser le souligne, le modèle Wal-Mart est l’aboutissement d’un processus global, pas une anomalie. Lequel repose sur ce postulat que «  la marchandisation de masse dépend du sacrifice des travailleurs sur l’autel des bas prix », ce que pratiquaient aussi des prédécesseurs tels Sears Roebuck, A&P ou Woolworth. Pour spécifique et gigantesque qu’elle soit, la firme s’inscrit parfaitement dans son époque, dans le développement de la société de consommation. A preuve : « Wal-Mart, la plus grande société commerciale du monde, est aujourd’hui l’entreprise-modèle de l’ordre économique global », écrit Lichstenstein.

Bref : une entreprise-modèle, Wal Mart ? Oui, celle du triomphe du néo-libéralisme outrancier, du fric-roi, de la société de consommation poussée à son extrême. Un rêve pour entrepreneurs décomplexés qui, parions-le, n’a pas fini de faire des émules. Et nous ne devons qu’à notre modèle européen honteusement rétrograde de ne pas profiter aussi des bienfaits de cette entreprise modèle (quand Wal-Mart a cherché à s’installer en Allemagne, les législations sociales en vigueur ont mis un terme à l’expérience). A priori, ça ne devrait pas tarder à changer. Car, Serge Halimi le rappelle, Wal-Mart n’en finit pas de gagner du terrain :

Wal-Mart n’est au fond que le symptôme d’un mal qui va. Chaque fois que le droit syndical est attaqué, que les protections des salariés sont rognées, qu’un accord de libre-échange accroît l’insécurité sociale, que les politiques publiques deviennent l’ombre portée des choix des multinationales, que l’individualisme du consommateur supplante la solidarité des producteurs, alors, chaque fois, Wal-Mart avance…


Craignant de me disperser, j’ai restreint le champ d’analyse. Du coup, certains aspects du livre sont juste évoqués, notamment les effets économico/structurels d’une politique de bas prix, le recours aux ouvriers chinois dans la production et l’histoire de la distribution de masse (la partie développée par Susan Strasser, pourtant passionnante). Raison de plus pour se reporter au livre.

A lire également sur le sujet, ce très bon article de Serge Halimi abondamment cité dans ce billet : Wal-Mart à l’assaut du monde.



1 Nelson Lichtenstein et Susan Strasser ont participé à un ouvrage collectif publié aux États-Unis : Wal-Mart, The Face of Twenty-First Century Capitalism.. Les deux textes du livre publié aux Prairies Ordinaires sont tirés de cet ouvrage.


COMMENTAIRES

 


  • Très cynique, la présentation de cette entreprise monstrueuse par ses dirigeants : une grande famille, une colonie de vacances avec ses G.O. et G.M. (gentils membres !). Les émules ne manquent pas en France : le « May i help you ? » devient « Puis je vous aider ? » sur le dos des employés de Carrefour. Le discours du fiston Leclerc à la télé, sonne un peu comme celui des dirigeants de Wall Mart, « la-gentille-entreprise-qui-ne-veut-que-du-bien-au-consommateur ». On aurait presque envie de devenir son ami immédiatement, au dadet.

    Mais avec des arguments massues comme les bas prix (en rognant sur la qualité du produit) et les emplois (ultra précaires, pénibles et payés au lance pierre), ces gens là n’ont pas fini d’intéresser les médias et les poilitiques.

    • Ouaip, le mielleux personnifié, le loup déguisé en mouton et qui bêle maladroitement. Il y a dans tout ça un côté Club Med qui vise à masquer le côté Stalag et qui glace pas mal le sang. Le nouveau visage du capitalisme : un sourire idiot aux dents parfaites qui masque une haleine de phoque.

      « On aurait presque envie de devenir son ami immédiatement, au dadais. » : heureusement, on se ravise vite...

      • mardi 5 mai 2009 à 15h02, par Liliane, fais les valises, on rentre à Paris.

        Tout dépend de la représentation que le laquais se fait de sa condition : préposé au portillon en début de « carrière », « collaborateur » satisfait, il « gravira les échelons » ; joie, dans 50 ans, il sera affecté à l’ouverture de la grande porte, par laquelle il se fera dégager avec au mieux un bon de réduc’ pour une machine à hot dogs Wal Mart.

        Et puis parler d’ « esclavagisme comme modèle de développement », je trouve cela un peu outrecuidant sachant qu’un récent sondage réalisé en Arkansas a montré que lors du « pledge matinal au drapeau », les écoliers trouvaient la fabrique Wal Mart « cool ». Alors, bon ...

      • @ lemi
        « On aurait presque envie de devenir son ami immédiatement, au dadais. » : heureusement, on se ravise vite...

        Merci pour l’orthographe de dadais, je devais penser à baudet ! _ ;-p



  • Bof... De toute façon, le capitalisme ne sait que produire des produits de merde, avec du travail de merde, (mais certifié ISO), pour réserver à ses salariés des conditions de merde, pour abandonner dans la nature des déchets de merde, le tout sous couvert de « conservatisme », cad la préservation de ce que « la civilisation » est censée avoir de meilleur. Je ne vois pas où est le scoop, dans cet article...

    • « Je ne vois pas où est le scoop » : l’idée n’était pas d’en dégotter un, ni dans ce livre, ni dans mon billet. Plutôt de comprendre comment le parangon absolu du capitalisme amoral triomphe avec tant de facilité. Pas de révélation, juste une tableau clinique.



  • « Wal-Mart est comme les pirates patrouillant au large de la Somalie... »

    Sans doute mais malgré tout je trouve, toute proportion gardée, les pirates somaliens beaucoup moins dangereux et même à dire vrai plus sympathiques que ce « métastase » capitaliste qu’est Wal-Mart.
    Bon sujet, bien traité et merci pour l’indispensable référence que je vais m’empresser de lire.

    • C’est vrai qu’emporté par mon sujet, je me montre un peu sévère avec les pirates somaliens. Disons que je renie cette comparaison (mais elle était bien pratique pour introduire la partie...) et approuve ton intervention : il y a beaucoup plus malfaisant qu’eux...
      J’espère qu’aucun pirate somalien ne me lit, je suis bon pour le supplice de la planche, sinon.



  • Les bas prix, ou l’inévitable bien-être individuel au détriment du bien-être collectif.
    Dans ses choix d’achat, il faut impérativement inclure le coût social et écologique (et moral) pour être en adéquation avec ses convictions. J’y pense chaque fois que je passe chez Aldi, Carrouf ou Migros (qui n’est pas aussi pire que Wall Mart ou Carrefour, peut-être...)...

    Voir en ligne : http://jide.romandie.com

    • J’hésitais à introduire le sujet dans l’article, et puis, la paresse sûrement, j’ai gardé ça pour moi. Mais c’est vrai que cette analyse de Wal-Mart pourrait sûrement s’appliquer en bien des points à nos « hard discounteurs » à nous. En tant que fana de Ed. (ils ont des lapins en chocolat à moins d’un euro !), il est sans doute temps que je m’interroge sur ce « cout social et écologique » dont tu parles. Le bas prix n’est pas gratuit, il se paye forcément...



  • Ouaip, super article pour présenter ce qui semble bien être un livre très intéressant, je le mets sur ma liste pour une prochaine descente chez mon libraire indépendant et militant - tout le contraire de ces grandes surfaces inhumaines à tout point de vue (allez, copinage : Le grain des mots, bd du Jeu de Paume, à Montpellier, pour les lecteur-trices du coin :-))

    Et un chti article sur une initiative lyonnaise pour réfléchir sur le « Toujours moins cher, mais à quel prix ? », chez les Suiveurs.

    • Copinage accepté (tant que c’est pour des libraires et pas des enseignes de grande distribution, no problemo),
      et merci pour le lien. « Malgré les pressions exercées sur le collectif par des politiques que nous ne nommerons pas, qui trouvaient la campagne trop culpabilisante. » : trop culpabilisante ? on croit rêver...

      • Beh ouais. S’agirait pas de troubler les gentils « consom’acteurs », non plus ! Pas touche à la bonne conscience éthique...

        Je fais de l’ironie, mais je comprends qu’on veuille un brin « préserver » celleux, peu nombreux-ses, qui font déjà l’effort de réfléchir un tant soit peu à leur acte d’achat (au-delà de leur “pouvoir d’achat”. Ni pouvoir, ni achat ! :-) ). Car c’est vrai, c’est compliqué, parce qu’on vit - ici - dans un univers qui ne laisse pas beaucoup de temps ni de place (et encore moins de moyens) pour connaître (les filières, les produits, les conditions de travail...) et acheter en conscience.

        Cela dit, quand on s’est défait de la sale habitude de fréquenter ces temples de la consommation cheap, c’est un vrai choc d’y retourner (y reste quelques produits qu’on trouve pas ailleurs, et que je ne peux fabriquer, et dont je ne peux me passer), et tout y dégoûte (envie de sortir en courant très vite, sentiment de rage et d’impuissance face à autant de lobotomisation plus ou moins bien subie / acceptée). Ça m’avait fait ça quand j’étais rentrée dans un Wal-Mart, y a quelques années (je voulais voir de mes yeux la chose). Brrr... j’en frissonne encore.

        (et merci pour les copainEs libraires... :-))

        • Diantre, tu as expérimenté Wal-Mart ? Et tu ne fréquentes plus la grande distribution ? Mais alors, tout ce qu’on m’avait dit sur le pouvoir addictif du Wal-Mart, sur l’incapacité à rompre le lien tissé lors d’un premier passage en rayon, c’était faux ? Il reste un espoir dans ce cas. Et peut être que d’ici bientôt je romprais totalement avec mes Ed et Lidl préférés...
          Pas de merci qui tienne : les libraires sont sacrés, c’est tout (d’autant qu’eux aussi doivent faire face à l’invasion de la grande distribution sur leurs plates-bandes...).



  • Il ne s’agit pas seulement de bas-salaires, mais aussi de temps partiel subi et d’horaires émiettés, voire se situant avec des creux énormes qui empêchent de rentrer chez soi. Une excellente méthode pour tenir son monde, car ce n’est pas avec une paye pour seize ou vingt heures que l’on arrive à vivre et ce n’est pas avec des horaires changeant chaque semaine ou du jour au lendemain que l’on peut cumuler avec un second travail. En outre, il est possible de pousser quelqu’un à la démission ou à la faute par ce type de management qui reste légal.

    Mais le comble est atteint dans la gestion des Petits Casino et des Proxi : les gérants ont un fixe ridicule, puis un pourcentage minime sur les ventes avec des produits et des prix imposés (les mêmes produits que dans la grande enseigne juste en plus cher). Cela fait que des gens pensaient être indépendants, de vrais petits commerçants, et en fait ils se retrouvent dans la situation de prolétaires travaillant 70 à 80 heures par semaine pour une somme équivalente à un seul Smic mensuel alors qu’ils travaillent en couple (on aime bien les couples pour tenir ces commerces de proximité franchisés, un couple c’est plus stable et sûr, mais cela ne fait qu’un traitement). Les marges bénéficiaires de ces sociétés explosent là et en fait le couple de pseudo-gérants se retrouve complètement prisonnier du contrat signé et de ses longues journées de travail, parce que s’il embauchait du personnel supplémentaire ou s’il faisait des investissements ce serait sur sa propre commission déjà réduite au minimum. On a là un prolétariat encore plus esclavagisé, mais avec un esclavage volontaire et un discours totalement faux sur l’esprit d’entreprise ou le « small is beautiful ».

    Voir en ligne : http://champignac.hautetfort.com

    • Oui, la politique des bas salaires n’avance pas seul, elle draine dans son cortège tout un tas de saloperies. Comme tu dis, la meilleure façon de « tenir son monde », c’est de lui pourrir la vie en lui maintenant la tête dans l’eau. Un homme qui se bat pour joindre les 2 bouts dans ce genre d’environnement ne peut même pas envisager l’idée d’un syndicat, c’est un autre monde...
      Concernant les supérettes et proxy, j’avais lu quelque chose dans ce genre là. Ils croient signer pour une situation tranquille et gentiment bourgeoise, et ils se retrouvent dans des situations de stress incroyables pour atteindre des objectifs irréalistes. Un autre visage, plus inattendu, de la « wal-martisation » du monde...

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