ARTICLE11
 
 

samedi 7 février 2015

Le Cri du Gonze

posté à 15h29, par Lémi
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Daloy Polizei !

« J’ai joué dans de nombreux lieux / […] / Et partout j’ai entendu la même histoire / Quelqu’un meurt lors d’une garde à vue / Très vite la famille pose des questions / Et les policiers paraissent mal barrés / Mais ils mènent eux-même les investigations / Et il s’avère qu’ils ne sont pas coupables. » (Geoff Berner, « Daloy Polizei »)

C’est un marqueur universel, un constat populaire contagieux. Crié sur tous les toits, de Monrovia à Fribourg. Tagué sur les murs de Cracovie, Port-au-Prince ou Tombouctou. Ululé quand le soleil se couche sur Saint-Denis ou Tunis. Mille déclinaisons, mille langues, une même invective. Soit, au choix :

Mort aux vaches !

Zlatan la police !

Down with the cops !

Daloy polizei !

Et ainsi de suite.

Une harangue vieille comme le monde (ou plutôt : comme la police). Et qui gagne encore en balistique une fois mise en musique, saupoudrée de verbe salé, de croches vengeresses et de mélodies uppercut. Recette intemporelle.

Ainsi de « Daloy Polizey », classique du répertoire yiddish anarchiste dont l’aspect anti-autoritaire était assumé jusque dans le titre (en VF : « Mort au vaches ! »). Scandé dans la Russie tsariste du début du XXe siècle, il condamnait frontalement l’autocrate en place ainsi que ses affidés pandoresques. Les paroles ? Transparentes : « Frères et Sœurs, il est temps de serrer les rangs / Et de détruire le règne du petit Nicky1 / Hey hey, mort aux vaches / Et à bas l’autocratie russe. »

C’était il y un siècle. Une paille. Cent ans après, certains pans de la musique klezmer, directement issue du folklore juif ashkénaze, perpétuent ces joyeuses racines rebelles. À l’image du canadien Geoff Berner, ex-punk tombé dans le chaudron yiddish après un voyage en Roumanie, qui ne cesse de clamer que le klezmer c’est d’enfer. Oui, n’en déplaise au fantôme gélatineux d’Yvette Horner, l’accordéon posséde bien une dimension révolutionnaire. Berner a d’ailleurs choisi de remettre « Daloy Polizei » au goût du jour, dans son dernier album, Victory party2, en en adaptant les paroles au temps présent. Pour le premier couplet, cela donne ceci :

« J’ai joué dans de nombreux lieux / […] / Et partout j’ai entendu les mêmes histoires / Quelqu’un est mort lors d’une garde à vue / Très vite la famille pose des questions / Et d’abord les policiers paraissent mal barrés / Mais ils mènent eux-même les investigations / Et il s’avère qu’ils ne sont pas coupables.3 »

Appliquée à nos latitudes hexagonales, ladite analyse tape furieusement dans le mille. Pour ceux qui auraient besoin de s’en convaincre, prière de se reporter à l’excellent ouvrage collectif Permis de tuer ; chroniques de l’impunité policière, publié par les éditions Syllepse4.

Dans la suite du morceau, Berner évoque le cas de Ian Bush, jeune Canadien tué lors d’une garde à vue d’une balle dans la tête : « La famille de Ian Bush ne savait pas que leur fils était un tueur / Quand l’agent Kessler l’a embarqué pour avoir bu une canette de Miller en pleine rue ». Le reste à l’avenant, énième chronique d’une bavure maquillée en légitime défense, d’autant plus aisément que « la bande vidéo du commissariat a malencontreusement été effacée ». D’où le couplet, pour le moins virulent : « Hey hey, mort aux vaches / Le message est même aujourd’hui qu’hier / Sortez de votre maison, tous dans la rue / Que tout le monde hurle « nique la police ». »5

Geoff Berner a tout l’air d’être un chouette type, en accord avec ses morceaux. Envoûté en Roumanie, il a vite saisi que les vieux pots ne faisaient pas forcément les soupes les plus fades : « Les racines de la tradition klezmer sont beaucoup plus drôles, crades et sexy que la majorité de ce qui se fait aujourd’hui en la matière.6 » Berner s’est donc lancé à corps perdu dans la revisitation épique et éthylique de ce patrimoine, optant pour l’appellation joyeuse de « Whiskey Rabi  » (Rabin whisky), également le titre de son deuxième album (2005) :

Armé de ce glorieux patronyme, Berner sillonne le monde au volant de son accordéon, laissant un joyeux bordel derrière lui. C’est ainsi qu’invité à jouer lors d’un festival de folk sponsorisé par Volskwagen, il a joliment ridiculisé les officiels présents et la marque teutone en rappelant publiquement quelques faits historiques teintés de croix gammé que ces Messieurs auraient préféré ne pas voir mentionnés (épisode raconté in english ICI). Il a également été candidat du loufoque Rhinoceros Party of Canada lors d’élections régionales en 2001, promettant en cas de victoire d’offrir « de la cocaïne et des putes aux investisseurs potentiels. » Chouette programme, finalement pas très éloigné de la réalité...

En 2008, vénère Berner s’en pris à l’organisation des JO 2010 par sa ville natale de Vancouver, en composant un morceau satirique joliment intitulé « The Dead Children Were Worth It ! » (soit « Les enfants morts le valent bien ! »). En cause, le coût exorbitant de l’événement, qui aurait notamment provoqué la fermeture d’une service d’investigation sur la mortalité enfantine en Colombie britannique.

Berner s’est même fait un plaisir d’affabuler dans les grandes largeurs (ici) pour décrire la naissance dudit morceau, lequel lui aurait été commandé par le premier ministre de Colombie Britannique en ces termes : « Geoff, nous avons besoin d’un morceau qui dirait au monde quelles sont nos priorités en Colombie Britannique. Nous voulons qu’ils comprennent quelles sont nos priorités et quelles sont les choses dont on n’a rien à foutre. Nous tenons à ce que les gens regardant les JO apprennent combien de l’argent du contribuable nous avons foutu en l’air pour cette grande nouba. Afin de payer la note, on a dû faire des coupes un peu partout. [...] Vous pourriez faire un hymne parlant de ça ? C’est ce que je veux que les gens aient en tête quand ils regardent les JO ! »

Mission accomplie.

Fouteur de merde patenté, Berner a le bon goût de renvoyer dos à dos les forces de l’ordre et les forces économiques qu’elles protègent. Toutes dans le même sac, les empaffées, ligotées par ses lignes d’accordéon et assaisonnées de tord-boyaux. Daloy capitalisme !

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Saint-Valentin à Montreuil : le 14 février, clamez votre amour de la police

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Bonus

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1 Le tsar Nicolas II, alors au pouvoir.

2

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3 I’ve played a lot of places / … / And everywhere I go I hear the same old thing again / Somebody dies in police custody / Soon there are questions from the family / At first the situation makes the lawmen look so filthy / but they investigate.

4 L’ouvrage en question était chroniqué dans le dernier numéro en date de la version papier d’Article11. Billet à lire ICI.

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5 Hey hey, daloy polizei, it means the same thing now as yesterday / Out of your houses, down in the streets / everybody says fuck the police !

6 Citation extraite et traduite de cet article.


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