mercredi 31 octobre 2012
Vers le papier ?
posté à 13h59, par
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HIBERNATION : « L’hibernation est un état d’hypothermie régulée, durant plusieurs jours ou semaines qui permet aux êtres vivants de conserver leur énergie pendant l’hiver. Durant l’hibernation les animaux ralentissent leur métabolisme jusqu’à des niveaux très bas [...] en utilisant les réserves de graisse du corps qui ont été stockées pendant les mois actifs. » (Wikipedia)
« Si vous voulez tenir, le plus important sera d’être régulier. Ne pas lâcher l’affaire, respecter des dates précises de sortie en kiosques, ne pas faire de pauses... Vos lecteurs devront savoir que tel jour, précisément, un nouveau numéro sera disponible ; ils devront être certains qu’ils le trouveront facilement chez leur kiosquier. C’est primordial ». Voilà ce que nous expliquait, il y a plus de deux ans, un vieux et fringant routier de la presse alternative. À l’époque, en pleine préparation de la sortie papier, on avait hoché la tête avec conviction, en résumant sur nos petits carnets la substantifique moelle de ses précieux conseils : « Assiduité ; Précisément ; Aussi régulier qu’un coucou suisse ». C’est qu’on était studieux à l’époque. Et über-motivés. De parfaits petits aspirants à la gloire imprimée. On allait tout dégommer sur notre passage, c’était écrit (et bientôt imprimé). Et si pour cela il fallait en passer par un peu de discipline, eh bien on le ferait, fingers in da nose.
La bonne blague. Dès le départ, il y avait comme une erreur de casting : on n’engage pas Bécassine pour jouer dans un porno, ou Bukowski pour tourner une pub Evian. Nous, réguliers, assidus ? On aurait dû le savoir : ça pouvait pas le faire. Y avait maldonne. Et le lancinant « tic-tac, tic-tac, tic-tac » de la mécanique horlogère s’est vite transformé en une très irrégulière sarabande : dates de sortie fluctuantes (on n’est pas à quinze jours près...) et placement en kiosques erratiques (non, sérieux, tu sais où on peut le trouver, le canard ?) sont devenus notre pain quotidien. Et le lecteur, alors ? Il s’est débrouillé, en bon Mac-Gyver des kiosques. Nous lire à date régulière était une gageure, une sorte de défi aux lois de la physique : vous êtes nombreux à l’avoir relevé. On en reste babas.
Depuis deux ans, tout juste, cela fonctionne ainsi. Cahin-caha. Vous acceptez nos imperfections, nos retards, nos silences, sans mugir, meugler ou protester. On met un ou deux mois à répondre à vos mails ? Vous patientez. On prend quinze jours de plus pour façonner un numéro ? Vous patientez aussi. On accumule le retard dans les envois aux abonnés ? Vous patientez toujours. Yep, des lecteurs d’élite. Pour un peu, on vous embrasserait, tant vous excellez à vous montrer magnanimes.
Mais là , on a fait fort. Très fort. Pas de nouvelles depuis plusieurs mois – rien, nada. Une pause estivale qui se prolonge inconsidérément. Un onzième numéro qui se la joue arlésienne. Pas le moindre petit mail envoyé aux abonnés pour les tenir au courant. Et pas – non plus - le moindre billet publié sur le site pour informer notre valeureux et méritoire lectorat. Bref, un journal au point mort, à défaut de l’être réellement. Un peu comme ces potes qui ne répondent plus au téléphone depuis cinq ans et dont on ignore totalement ce qui a pu leur arriver : « Au fait, il devient quoi, Jean-René ? J’espère qu’il n’est pas mort, l’animal... »
Et donc, qu’est-ce qu’on fiche ? C’est délicat. Disons : un moment de flottement. De doute. D’hibernation. Il est certain que l’enthousiasme des débuts s’est un brin émoussé au fur et à mesure que le plaisir se muait en obligation – surtout pour les plus investis, pour qui la sortie du journal devenait un labeur prenant. Quant au collectif animant le journal, il s’est un peu relâché ; certains ont pris leurs distances, d’autres se sont investis dans des projets différents ou parallèles, certains encore se sont simplement un peu fatigués, ne mettant plus autant de cÅ“ur à l’ouvrage. Une forme de lassitude – temporaire – a ainsi vu le jour. Nous étions comme ces amoureux qui s’embourbent dans un triste quotidien ; la passion s’envolait en piaillant comme un colvert blessé.
Il n’a jamais été question que ce journal récompense ceux qui y participent autrement que par son existence. Pas un poil d’argent à la clé, non plus que de capital symbolique – sinon dans des milieux très confidentiels – ou de retombées médiatiques. Et si des motivations politiques ont largement participé de la création du canard, elles sont toujours restées en toile de fond, trame résolue mais lointaine. En d’autres termes : la version papier n’existe qu’en ce qu’il y a une équipe décidée à la confectionner, et un lectorat résolu à l’acheter (ou la voler) et à la lire. Existence précaire.
Sans l’envie, plus de journal – c’est aussi bête que ça. Cette envie était un peu partie, elle papillonnait de ci-de là en mode phalène bourré. Elle est revenue avec les premiers frimas, comme un boomerang. Les premiers symptômes du manque ont déboulé début septembre ; ils sont désormais bien enracinés – fièvre politique, délires éthyliques, eczéma socialiste. Et le mal se propage. Inexorablement. Nous en sommes là . En attente d’une contagion plus générale, mais d’ores et déjà résolus à profiter de la fièvre, à la couver et à ne pas la lâcher. En espérant que vous aurez la patience d’attendre que l’épidémie ait atteint son pic de diffusion.
D’ici là , il va nous falloir rediscuter entre nous, réfléchir – que chacun des participants dise ses envies et espoirs. Mais sans préjuger du résultat de cette concertation entre nous, sans préjuger non plus de ce que vous pourriez apporter à celle-ci – critiques comme encouragements -, il y a déjà une première certitude : il y aura un numéro 11 d’Article11 (c’te classe), et il paraîtra en kiosques en février prochain (ou pas loin). Une autre certitude : la forme graphique du journal va changer, puisque les compadre de Formes Vives sont décidés à plancher sur une nouvelle version1. Ils le feront d’ailleurs sans l’ami Thibaud Meltz, qui a décidé – ô tristesse, ô graphisme ennemi – de quitter le navire.
Et pour tout le reste ? C’est l’inconnu. Un grand et bel inconnu. Mais on vous promet que les fondamentaux resteront les mêmes, entre bricolage vociférant et refus de toute compromission. De toute manière, on ne sait pas faire autrement. Nos défauts ont leurs avantages.
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Annonce en l’air :Si quelqu’un possède un local à Paris (ou proche banlieue) et est disposé à le louer à des prix défiant toute concurrence, Article11 cherche un lieu - une maison, une cave, un squat, un cagibi, un nid, un trou à rat ou un balcon en forêt – pour habiter le monde et fortifier son existence. 16e arrondissement s’abstenir.
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Rubrique « Vers le papier » / dans les épisodes précédents :
Entretiens avec la « concurrence »
Premier épisode : Le Tigre, à lire ici.
Deuxième épisode : Revue Z, à lire ici.
Troisième épisode : Le Postillon, à lire ici.
Quatrième épisode : CQFD, à lire ici.
Cinquième épisode : Le Jouet Enragé, à lire ici.
Sixième épisode : La Brique, à lire ici.
_ Septième épisode : Offensive, à lire ici.
Huitième épisode : Entretien avec Steven Jezo-Vannier : « Les années 1970, âge d’or de la presse parallèle ? », à lire ici.
Neuvième épisode : « La « fragile proposition » du Napoli Monitor », à lire ici.
Dixième épisode : « Entretien avec Maxime Jourdan : La presse sous La Commune ». A lire ici.
Onzième épisode : Entretien avec Alvar, de Diagonal : « On garde le même ennemi, mais on l’attaque autrement ». A lire ici.
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Numéro 10 : 11 fragments piochés arbitrairement
Numéro 9 : Sous les pavés, les urnes.
Numéro 8 : Le retour du chevalier noir (et rose).
Numéro 007 : Meurs un autre jour.
Article11.info : et la lumière fut.
Numéro 6 : Dans la jungle, terrible jungle
Numéro 5 : La revanche du malabar fluo
Numéro 4 : l’agent Orange en force !
Numéro 3 : l’Empire A.11 contre-attaque
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1 Il serait même possible (mais chut, on ne vous a rien dit...) que la police bleue en fasse notamment les frais.